Avant l’arrivée de Plume Latraverse sur la scène québécoise, il y eut… Réal Barrette, un artiste folk parmi les plus singuliers de la scène québécoise. Véritable électron libre, ce chansonnier marginal commence à se faire entendre dans les boites à chansons près de Montréal vers le milieu des années 60. Sa fougue, sa rage et son humour distinguent habilement son protest folk de celui de ses pairs. Personne au Québec ne sonnait comme lui à l’époque… PERSONNE! Avec ses compositions groundées et féroces, carburant au joual et aux comiques de cigarettes, Barrette crache et décoiffe! Imaginez des chansons résultant de la rencontre fortuite entre le français Évariste, l’abitibien Réal V. Benoît et le groupe américain The Fugs et vous y serez à peu près… Dans son cas, on pourrait même oser parler de folk punk et sous sa plume, tous les sujets tabous y passent: la religion, la drogue, la sexualité, etc. On sait bien peu de choses sur sa vie et sa carrière si ce n’est qu’il nous laisse deux rarissimes simples – tous deux non-compilés à ce jour!- pour le compte de l’étiquette Avril (une sous-division de Columbia) en 1969 en plus de collaborer avec la vedette pop Joël Denis pour son album éponyme transitoire de 1971.
Si vous avez collaboré avec Barrette dans les années 60 ou pouvez contribuer des photos ou coupures de presse supplémentaires, écrivez-nous! Si, à tout hasard, vous lisez ceci M. Barrette, sachez que votre témoignage m’importe énormément et qu’il me ferait plaisir de vous interviewer à ce sujet.
Barrette semble faire ses débuts sur scène autour de 1965. On le retrouve notamment dans le circuit des boîtes à chansons, à la guitare, aux côtés de la chanteuse Marie Villeneuve, gagnante du concours 28 Jours de l’émission Jeunesse Oblige de Radio-Canada. L’année suivante, on le retrouve en solo, chantant maintenant la nature, la vie, la mort aux accords de son mélodieux. Merci au blogue Monsieur Jeff pour ces informations. Il faudrait attendre encore quelques années avant que Barrette ne grave ses premières (et dernières?) compositions sur disque.
Réal Barrette – La grosse Toutoune / Y faut jamais faire brailler sa blonde (Avril A4-106; 1969)
Une salve déglinguée, voilà ce que c’est : La grosse Toutoune, ne serait-ce que par la poésie de son titre, vous cloue littéralement le bec! Barrette adopte un ton acide et habite son propos grivois sur un air de country déjanté ponctué de solos d’orgue. Les Sinners et Tex Lecor devaient prendre des notes en coulisses… La chanson aurait même été interprétée à l’émission Jeunesse d’Aujourd’hui devant un public médusé. Si vous possédez cet extrait, écrivez-nous!
C’est donc pas drôle d’avoir un amour triste, mais peu à peu j’avoue que je m’en crisse.
Parce que dans l’monde, t’es p’t’être pas la plus belle.
Belle de jour ou belle de nuit…
Le délire s’intensifie sur la face B avec Y faut jamais faire brailler sa blonde, une longue et intense composition où le chanteur s’éclate à coup de wah-wah et d’effets psychédéliques! Énergique, on ressent toujours chez-lui le dégoût et la hargne. Concluant avec un falsetto désopilant, Barrette va jusqu’à reprendre quelques notes du célèbre À qui le p’tit coeur après 9 heures de Roger Miron. Animal, rentre-dedans et irrévérencieux, ce 45 tours est au boutte ! Pas mal pour un chanteur à boutte… Ce titre sera éventuellement inclus sur la compilation Freak-Out Total Volume 333 (Mucho Gusto; à paraître ).
On s’garroche des fleurs, des fleurs et pis des fleurs!
On s’barbouille de toutes, toutes les maudites couleurs!
On smoke des drôles, des comiques de cigarettes,
pis on r’vient des fois pour tirer s’a gachette!
Mais le coeur de Mamie n’est plus mon ami,
Il ne pleure plus, j’ai marché dessus!
Réal Barrette – Nounoune t’en mets trop / Haut St-Joseph (Avril A4-107; 1969)
Le second simple du chanteur -publié presque simultanément avec son premier- est tout aussi sublime, valsant toujours entre l’infâme et le merveilleux. Il est d’ailleurs ahurissant de constater aujourd’hui qu’une chanson comme Nounoune t’en mets trop ne soit pas plus souvent citée comme une des premières créations punk québécoises. Des 45 tours garage violents et blasés, on en connaissait déjà (pensez à ceux des Loups, des Différents ou des Misérables), mais bien peu s’étaient auparavant investis d’une prose ou d’une personnalité aussi… vulgaire. Ça v-a-r-l-o-p-e! Noyé dans le fuzz et le wah-wah, l’anticonformiste Barrette semble possédé lorsqu’il scatte comme nul autre son refrain. Quelle morniffe!
Nounoune t’en mets trop; Nounoune dans mon cerveau.
Nounoune ça c’est pas beau; Nounoune j’ai le coeur gros, très gros oh oh oh oh oh…
J’ai volé tes culottes; tu m’lance deux carottes.
J’te donne une bouffée d’pot pis tu m’envoies aux crottes! Aux crottes!
Haut St-Joseph au revers titille les oreilles chastes avec ses références chrétiennes, un thème de prédilection pour tous les cyniques qui critiquent de plus en plus ouvertement l’Église depuis le concile de Vatican II au début des années 60. Dans cette boutade, Barrette n’y vas pas de main morte: Notre chanson c’est beaucoup cochon; ça touche la religion. Mais l’bon Dieu, y’é pas niaiseux: y rit de ça dedans les cieux!
L’album du renouveau pour Joel Denis
À l’image de ces quatre chansons, on découvre dans de rares articles d’époque à propos de Barrette que ses performances scéniques étaient aussi empreintes d’un discours engagé, notamment contre la guerre du Viêt Nam et une quelconque association avec la scène des chansonniers. Si les 45 tours de Barrette en solo ne chatouillent même pas les plus bas échelons des palmarès, l’auteur-compositeur trouve néanmoins une oreille attentive auprès de Joel Denis pour qui il compose quelques-unes de ses dernières compositions à succès. L’influence de Barrette est définitivement perceptible sur cet album éponyme où on redécouvre un interprète carburant maintenant à la vitriole. Le guitariste de dos avec Denis dans la vidéo suivante, c’est lui! Réal et moi étions totalement en symbiose, confiera Denis.
Il faut dire que les derniers mois avaient été particulièrement douloureux pour Denis qui devait souvent justifier ses actions avec une presse plus habituée à ses cabotinages du temps du Ya-Ya. Il s’était notammment attiré les foudres du public après s’être affiché nu avec sa famille à la une d’Écho-Vedette (?). Fan affirmé des Beatles, il avait rencontré John Lennon & Yoko Ono lors de leur légendaire bed-in à l’Hotel Reine-Élizabeth de Montréal. Cependant, ce clin d’oeil à la sortie récente de l’album Two virgins ne fit pas l’unanimité. Denis dû s’expliquer et publia même son commentaire en face B du simple Si j’avais une jambe de bois, sous le titre… Fesses à part (TC Profile; 1971).
Barrette signe ou ajoute sa touche unique sur la majorité des titres présents sur l’album ainsi que sur quelques simples de l’époque, alternant entre la pop farfelue (Pick, Tic Tac ou le succès C’t’a pas encore fait) et d’autres créations drôlement plus rock et engagées comme les accrocheuses L’argent, Alléluia (adaptation d’une chanson de Arnold Capitanelli & Robert O’Connor) et Je t’envoye la main. L’ex-vedette yéyé tentait de rester dans l’bag et Barrette semblait lui donner des ailes… Les compositions du tandem Barrette-Denis ont depuis été compilées en 2000 sur le CD C’t’a pas encore fait – Volume 2 (Disques Mérite).
En attendant des nouvelles du chanteur, laissons la parole à ceux qui l’ont cottoyé par la suite. Quelques-uns de ses anciens élèves (Barrette serait engagé comme professeur d’anglais durant les années 70) nous ont écrit et on a même eut des nouvelles d’une de ses ex-copines! Toutefois, Joel Denis n’a pas eu de nouvelles de son ancien comparse et, personnellement, on aimerait beaucoup retracer M. Barrette. Si vous pouvez nous aider à le retracer, n’hésitez pas à nous écrire.
Roland Tremblay: Barette était prof d’anglais en effet, c’était à la polyvalente Louis-Riel au coin Rosemont et Langelier. je le sais, je l’ai eu comme prof. Il nous faisait ses tounes dans la classe et on apprenais l’anglais dessus ou sur les paroles de plusieurs tounes des Beatles… C’était vers les années 77-80.
Claude Lamarre: Barette a été mon professeur d’anglais au secondaire à la polyvalente Louis-Riel de 1977 à 1979. C’était un personnage coloré, un bon vivant, et nous avons appris l’anglais sur les paroles des chansons des Beatles, de Cat Stevens, et certaines de ses compositions pour le moins hilarantes, souvent accompagnées de son instrument favori: le Bouzouki. Malgré les éclats de rire que provoquaient les paroles de ses chansons, il n’en était jamais déconcentré… Je lui lève mon chapeau, car malgré son excentricité, c’est beaucoup grâce à lui si je suis bilingue aujourd’hui.
Marc-André: Effectivement, j’ai également eu Barrette dans un cours d’anglais secondaire 3 à Louis-Riel en 1987. Nous, c’était ”With a little help from my friend” de Ringo et ”Hey you” de Pink Floyd que l’on devait apprendre par coeur et aller lui réciter à son bureau un après l’autre.
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