Le Temps des Fêtes semble toujours propice pour raviver notre intérêt envers les breakdown, les set callés ainsi que les violonneux et autres musiciens traditionnels qui ont forgé notre identité musicale. Province de tous les reels, le Québec a publié sa part de chants folkloriques depuis le début du XXe siècle et à ce sujet, je ne saurais trop vous recommander une visite par le blogue Tradotronik réalisé par le spécialiste Marc Bolduc, aussi animateur de l’émission Tradosphère sur les ondes de CIBL 101,5 FM. Les amateurs du genre seront comblés! Avec les années 60, le genre trad aura tendance à se métisser d’avantage, incorporant notamment des éléments du rock dans son jeu, avec l’arrivée de nouveaux talents tels Philippe Gagnon ou Dominique Tremblay. Toujours prêt à relever un défi et à explorer de nouvelles tendances, le producteur/chanteur Tony Roman imaginera deux albums qui, à ce jour, demeurent parmi les plus singuliers de cette décennie. Rares et convoités, les collectionneurs les connaissent d’avantage par réputation; aujourd’hui, tendons l’oreille…
Suivant son association avec le producteur français Jean-Pierre Massiera avec lequel il « co-réaliserait » le cultissime long jeu Maledictus Sounds (rebaptisé plus tard Expérience 9 par Roman lui-même et réédité chez Mucho Gusto), on assiste à la publication d’une infâme trilogie d’albums expérimentaux, pour la plupart avec la candide mention Freak-Out Total au revers de la pochette. Du marketing pour les hippies! Pour cette série, Roman s’entoure d’amis musiciens chevronés tels le multi-instrumentiste Denis Lepage (The Stringers, The Persuaders), le batteur Andy Shorter et le guitariste Michel Pagliaro (Les Chanceliers). Il imagine d’enregistrer live, sans retouche, les résultats de quelques séances nocturnes d’improvisations, aussi expérimentales qu’approximatives. Rien que du vrai pis tout croche aussi.
Si l’album Ouba (réédité en 2001 chez GearFab) avait tout d’un long jam rock simplement scindé en deux faces, les Reels Psychadéliques offrent quelque chose d’un peu plus complexe, mais tout aussi lousse. Les deux volumes sont séquencés en divers reels où parfois plusieurs moments distincts se confondent dans une seule et même chanson. Clairement audibles sur la plupart des pièces, des spectateurs et/ou des musiciens additionnels appuient le jeu des comparses de Roman avec des bribes de conversations anodines et d’indispensables envolées au violon. On se demande d’ailleurs qui peut bien être ce violonneux invité… Un simple combinant des extraits des deux Volumes est parallèlement publié en décembre 1969 avec les pièces Le Reel du Pharmacien de Ste-Anne / La ballade de Rose & Alfie (intense et disjoncté). Contrairement aux albums qui sont avares de détails, ce rarissime 45 tours crédite les musiciens comme le Nouvel Ensemble Folklorique du Québec, un qualificatif plutôt audacieux pour le groupe de Roman. En comparaison avec Les Super Reels du Québec (album essentiellement trad publié sur Révolution), il faut quand même avouer que ce que on nous offrait maintenant, eh bien… c’était carrément dans une classe à part! Autre fait à noter: ce simple offre ce qui pourrait bien être le titre le plus court pressé en 45 tours au Québec. Le reel du pharmacien de Ste-Anne ne s’étire effectivement que sur un maigre… 35 secondes!
Si quelques longs jeux populaires furent pressés sur étiquettes Révolution ou A1 (Nicole & Frédéric, La Révolution Française, Donald Seward, Christian & Gétro ), on y retrouve néanmoins bon nombre d’albums grivois et folkloriques (Ti-Poil la carotte, Eille! Ça c’est cochon, As-tu envoyé ton 2$? ). C’est bien connu : Roman n’avait pas froid aux yeux et l’idée de financer des projets plus risqués par la vente de disques fantaisistes semble logique. Le tirage apparemment limité de la série « Freak-Out Total » laisse toutefois quelques questions en suspens. Est-ce que le thème était jugé trop marginal pour générer plus de copies ou bien cherchait-on combler quelques lacunes budgétaires aux catalogues Révolution et A1? Un tel phénomène – qualifié de tax scam aux États-Unis- fut longtemps utilisés pour boucler les budgets. On réalisait des albums en vitesse, le plus souvent avec des pochettes génériques ou un design minimal, distribués -ou non!- avec peu de promotion. L’album faisait le plus souvent un bide, mais réussissait néanmoins à justifier certains frais opérationnels de la compagnie. Était-ce le cas ici? On jase, là… Ça pouvait être aussi tout simplement un beau risque : deux albums nés aussi rapidement qu’un jam impromptu… juste pour le fun. Il ne faudrait pas sur-analyser deux albums de «reels psychotroniques» après tout.
Avec 1969, c’est un nouveau Tony Roman qui s’offrait médiatiquement. De son propre aveux, il délaissait les chanteurs populaires qui avaient fait beaucoup chez Canusa (Les Baronets, Patrick Zabé, Johnny Farago) pour se concentrer sur de nouveaux talents, plus rock ou marginaux (Georges Thurston, La Révolution Française, Les Hou-Lops, Madeleine Chartrand), tout en publiant ses nouvelles compositions toujours aussi hétéroclites. Il clamait avoir vaincu les démons de la drogue, mais était-ce bien le cas? Chose certaine, pour Noël 69, il était allumé et généreux, publiait notamment l’album Le Réveillon de la Famille Canusa et s’offrait même une mini-campagne publicitaire en placardant ses voeux à quelques pas de ceux de… John & Yoko. Sacré Tony! Finalement… je goûterai bien à son lait d’poule! Bonne écoute & Joyeuses Fêtes!
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