Il y a quelques années, en même temps que l’essentiel blogue musical Garage Hangover consacrait un article à propos du groupe montréalais Le District Ouest, Yvon Delisle (ex-membre de la formation) entrait en contact avec moi et m’acheminait quelques photographies et anecdotes d’époque. Censuré à sa sortie puis jamais réédité voire même compilé depuis 1968, le premier simple du groupe s’impose pourtant comme un des titres phare de la scène garage québécoise. Ces cinq jeunes gens avaient définitivement du talent… et de l’audace! J’ai récemment interviewé le guitariste dans Ville-Émard, un quartier qui a autrefois brassé au son des nombreuses formations auxquelles il a participé. Retour sur une carrière aussi faste que méconnue…
Delisle débute son parcours musical à 16 ans, au tournant de 1961 au sein du quintet Les Chevels avec Normand Côté (batterie), Normand Lachapelle (saxophone), Claude Rossy (basse) & Tony Rossy (guitare). Il n’y a toutefois aucun lien avec l’autre formation de Québec au nom similaire, Les Chevelles. Vers 1964, il se joint à une autre formation montréalaise: By No Means. Le nom frappe autant que leurs cheveux longs! Pendant une année, le groupe interprète principalement des reprises des Rolling Stones, des Kinks ou des Animals pour les salles de danse locales. On y retrouve cinq musiciens originaires de Notre-Dame-de-Grâce et de Verdun: Michel Meunier (guitare; orgue), Jacques Meunier (basse), Yvon Delisle (guitare solo), Marcel Lorange (chant, guitare) et Denis Bourget (batterie). En 1965, Lorange poursuivrait sa carrière sous le pseudonyme Chris Adams, chantant et jouant de l’harmonica pour The Oven (avec Gary Marcus, futur membre des Haunted et Bob Panetta, qui rejoindrait bientôt le Mike Jones Group), un groupe qui à son zénith ouvrirait pour les californiens The Young Rascals au Forum de Montréal. On le retrouve aussi un peu plus tard, cette fois sous le nom de Chris Adams & the Bionic Beatniks. De son côté, Bourget quitterait By No Means pour ensuite se joindre temporairement au groupe Les Snobs (de St-Jean-sur-le-Richelieu) puis Les Sound Tracks (à Trois-Rivières). Si ces deux musiciens voulaient ajouter leur grain de sel à ce parcours rock pour le moins impressionnant, on les invite à nous écrire!
Déchiré entre ses études en dessin technique et le prospect d’une carrière musicale, Delisle persiste malgré la dissolution de By No Means et recrute de nouveaux membres. Entrent ainsi André Latour (batterie) & Robert Trépanier (chant). Le groupe se rebaptise Le District Ouest en référence à son origine sur l’île de Montréal. Sur scène, on jouait encore des chansons par The Animals, du Vanilla Fudge, du Procol Harum… on avait un orgue Hammond B3, ça fontionnait! On a cottoyé Les Lutins à quelques reprises; Nicole Blanchard, leur gérante, était une amie de Robert Lafont, notre propre gérant. Les Sinners aussi, dans un spectacle à Dorion. Comme notre gérant habitait le même quartier que Jacques Desrosiers, c’est lui qui eut l’idée de nous faire signer chez Disques Soleil.
Avec son frère, le chanteur André Fontaine, le comédien/chanteur/fantaisiste Jacques Desrosiers vient en effet de fonder sa nouvelle étiquette Les Disques Soleil: une entreprise écclectique qui ne publierait qu’une infime poignée de simples et quelques albums avant d’imploser. Soleil réussit néanmoins à se démarquer en mettant de l’avant des compositions originales par de jeunes compositeurs issus de formations aussi diverses que Les Shériffs, Les Flgmatiques ou les Vicomtes. Dans cette optique, on permet à Delisle et Michel Meunier d’enregistrer un de leurs titres, Je suis ton copain. C’est ma première composition, écrite et interprétée à l’origine en anglais sous le titre Kiss me tonight. Fontaine nous a convaincu de la refaire en français et la version originale ne fut jamais enregistrée. On a fait cette chanson aux studios Stéréo Sound et je dois dire que la production de Fontaine est plus fidèle au son du groupe que ce qu’on découvrirait plus tard sur notre second 45 tours.
Sur scène, le District Ouest interprète déjà quelques compositions originales, le plus ouvent vêtu de colorés vestons et redingotes rappelant le style Louis XV… avec une touche légèrement psychédélique! Ces costumes ont été réalisés par nos mères, à partir de tissus pour rideaux! aha Lancée le 26 janvier 1968, la chanson Je suis ton copain se retrouve en face A du premier simple du groupe. Cette déclaration d’amitié menée par une rythmique aussi nerveuse en fait -à mes oreilles du moins!- un des 45 tours culte de notre catalogue rock, à classer parmi les plus percutants et expéditifs de son genre. Bien que plus positif, cette pépite a de quoi se frotter avec les «Pour tout dire» par Les Loups, « Foutez-moi la paix » des Doubles-Pairs, « Tu n’es pas sincère » d’Alex Fontaine et tant d’autres sales titres du garage québécois. Ça rentre au poste!
Étonnamment, la chanson fut reprise en 1998 par le groupe de Colombie-Britannique The Evaporators sur leur album I gotta rash publié sur Nardwuar Records. Mené par le collectionneur averti et légendaire animateur radio Nardwuar the Human Serviette, le groupe traduit presque mot pour mot les paroles françaises et dédie la majeure partie des notes de pochette de leur album (rédigées en collaboration avec les québécois Léo Roy & Alex Taylor, co-auteurs de La fabuleuse époque des groupes québécois des années 60 ) au 45 tours du District Ouest. Ça c’est d’l’hommage!
Malgré cette excellente composition, le groupe n’est curieusement pourtant pas invité à en faire la promotion dans les diverses émissions jeunesse. Je crois que nous avons chanté Je suis ton copain une seule fois à la télévision, à l’émission sherbrookoise Bonsoir Copains, mais je vais laisser les autres musiciens confirmer tout ça… Loin de passer inaperçu, la réponse médiatique ne se fait toutefois pas attendre, mais se concentre principalement sur l’inclusion en face B de la pièce Le Cardinal… Éthérée et mystérieuse, cette ballade met en musique la vie du Cardinal Paul-Émile Léger, une imposante et populaire figure religieuse québécoise qui dès 1968 devenait missionnaire au Cameroun auprès des lépreux. C’est notre ami Stéphanes Kerbes qui a écrit les paroles et nous a demandé de composer la musique pour accompagner son texte, qui était essentiellement un hommage à la vie de l’homme. Nous, on avait aucune arrière-pensée pis on a imaginé la musique en quelques minutes à peine. Jacques Desrosiers cherchait surtout à faire un stunt publicitaire, sans se douter des conséquences… L’église n’aimait pas qu’on se serve du Cardinal Léger pour vendre des disques, même si Jacques Desrosiers avait prévu le coup et promettait déjà de remettre 3 cents par 45 tours vendu à ses oeuvres de charité. Le clergé ne voulait rien savoir.
Même si la Révolution Tranquille est déjà en marche et la restructuration de l’Église catholique évidente à l’internationale depuis la démocratisation de l’évangile suivant le Concile Vatican II (1959-1962), Le Cardinal agace les oreilles des plus pieux dès sa publication. Rapidement, la presse devine un scandale imminent et s’empare de l’histoire. Le journal The Gazette est le premier à tenter d’analyser le phénomène causé par la juxtaposition d’un groupe rock à un sujet religieux. À la une de son édition du 31 janvier 1968 (le 45 tours avait été lancé le 26), elle titre Now it’s Religion-Rock / The Cardinal’s getting a spin. Sceptique devant des ventes projetées de 100 000 unités et sans être élogieux, le journaliste Bill Bantey conclut qu’après tout, ce n’est que du yé-yé… Michel Meunier en rajoute: Of course, they’re dancing to it! Malgré un imprimatur favorable imaginé par l’aumonier de la station radio CHRS (où anime Jacques Desrosiers), l’Archevêché de Montréal catalogue le tout de racket et aurait demandé qu’on retire prestement le 45 tours des bacs des disquaires. Incidemment, le simple n’aura qu’une diffusion limitée sur les ondes radiophoniques.
On imagine mal aujourd’hui comment cet hommage en face B -parce qu’il s’agit bien d’un hommage et non d’une critique de l’homme ou de son oeuvre- put déplaire à ce point au clergé montréalais afin qu’il demande sa censure. D’entendre de jeunes gens louanger ainsi le Cardinal Léger aurait dû réconforter l’Église; après tout, ne recherchait-elle pas désespérément à remplir de nouveau ses églises en s’acoquinant de la jeunesse yéyé? Parler du Cardinal n’était pas péché, mais peut-être est-ce la juxtaposition d’un hommage à des sonoritiés légèrement atypiques qui froissait certains curés. Au bout du compte, ce n’est pas tant le texte essentiellement positif qu’on accuse, mais plutôt ses interprètes, rapidement jugés marginaux et… opportunistes.
On sondage auprès de nombreux DJs de l’époque révèle une autre faille: la qualité technique du simple n’inspirait pas à sa diffusion répétée. Il est en effet fréquent de constater le nombre effarant de simples écartés à l’époque par les critiques en raison de leur «mauvaise production» ou d’autres raisons fantaisistes. Ces sonorités underground pouvaient bien demeurer sous terre, bien peu d’animateurs osaient s’y frotter au départ. On usait de prudence ou de pruderie, quand ce n’était pas carrément la payola qui alimentait la censure…
Le simple ne sera dans les bacs des disquaires que 3 ou 4 semaines, prestement retiré puis retourné à l’étiquette suivant les pressions médiatiques du clergé. Peut-être que Desrosiers désirait aussi tourner la page au plus vite… Ce ne sera cependant pas la fin du disque puisque les exemplaires retournés du 45 tours seront ainsi perforés -pratique courante lorsqu’il s’agit d’un service de presse ou d’un invendu- puis incroyablement recyclé en guise de prime dans des sacs de croustilles de marque Yum-Yum! Si par chance votre copie n’est pas trouée (comme la mienne), il y a fort à parier qu’il s’agit d’une copie achetée originellement dans les quelques jours où le 45 était librement disponible… Avec si peu d’exemplaires en circulation, ça demeure une belle pièce de collection.
Plus tard en 1968, Robert Trépannier décide de quitter le groupe pour rejoindre la formation hard rock Sex (aussi connue sous le nom Le Sexe de Montréal). Le District Ouest est aussi confronté à une autre épreuve: les Disques Soleil battent déjà de l’aile et ferment boutique avant la fin de l’année. Comme si ce n’était pas déjà assez, Robert Lafont abandonne la gérance du groupe. Les musiciens ne perdent pas de temps et négocient illico un nouveau contrat avec l’Agence Pierre Gravel. Gravel nous a généreusement booké pendant un an et demi, solide. Des super-tournées estivales avec les Hou-Lops, les Lutins… On était en spectacle du jeudi au dimanche et je travaillais en dessin industriel le reste du temps. On a fait le tour du Québec, on s’est même ramassé deux semaines en Abitibi à donner des shows à Malartic, Rouyn pis Val D’Or où on s’est tous fait de nouvelles blondes en arrivant! Gravel présentera aussi le groupe, maintenant connu uniquement sous le nom Le District aux Disques Vedettes. Gilles L’écuyer, directeur chez Vedettes, leur donne carte blanche pour enregistrer un album complet. Lors d’une unique session nocturne chez RCA avec le producteur Joey Galimi, le groupe enregistre sans relâche entre 8 et 10 nouveaux titres. On y retrouve notamment une adaptation des Bee Gees (To love somebody) et des compositions comme Tante Louise ou la psychédélique Tout est noir, déjà annoncée dans une entrevue au journal La Patrie. Du lot, on retiendra deux titres en guise de second 45 tours: L’histoire d’Aladin et Le soldat de plomb. Leurs autres démos demeureront cependant inédits et les bandes seront ultimement jetés ou recyclées en 1982 lors de la vente du catalogue Vedettes…
La production de ces deux nouvelles compositions de Michel Meunier et Yvon Delisle sonne plus dépouillée alors que les mélodies sont tout de même accrocheuses. L’histoire d’Aladin dépeint sobrement la relation qui nait entre Aladin et une génie aux yeux d’or qui apparait lorsqu’on frotte sa lampe. C’est naif et bon enfant alors qu’on devine que le groupe était pourtant plus cru sur scène. Pour Le soldat de plomb, on s’est pas mal inspiré de Your mother should know des Beatles: ça s’entend!
À nouveau, la diffusion du simple sera limitée, mais leur vaudra néanmoins un passage à la populaire émission Allez-4 (à Québec) puis Jeunesse d’Aujourd’hui, animée à Montréal par Pierre Lalonde. Les musiciens cottoient alors Nanette Workman, Johnny Farago, le trio folk Les Sirocco (avec Frankie Hart au centre) ainsi qu’un autre quintet qui demeure à identifier (voir photo). Seul ce second 45 tours sera récemment repiqué puis compilé dans la série Les Introuvables des disques Mérite, L’histoire d’Aladin se retrouvant sur Volume 9 et Le soldat de plomb sur le Volume 18.
1970 marque la fin du District. Les frères Meunier faisaient de la musique pour payer leurs études. Jacques devenaient progressivement chimiste et Michel était déjà en administration. Lorsqu’il est parti travailler avec Brian Mulroney dans le nord du Québec, je les ai perdu de vue tous les deux. J’ai moi-même arrêté de vivre de la musique pendant cinq ans… jusqu’à ce qu’on parte les Productions Madrigal en 1976. C’est un local de pratique qui deviendrait un studio et où j’avais mon nouveau groupe, Phase 2, avec Brian Wilson et Paul Grondin. Lorsque j’ai quitté Phase 2, les autres ont poursuivi et le groupe qui est éventuellement devenu Leyden Zar.
Le batteur André Latour quitte la scène musicale pour reprendre la taverne de son père, avant de mourir dans une altercation au couteau avec un compétiteur. Michel Meunier poursuivrait son parcours professionnel jusqu’à la vice-présidence en Angleterre chez Pratt & Whitney jusqu’à son décès. Aux dernières nouvelles, Jacques Meunier était chimiste en Ontario. Quant à Yvon Delisle, il travaille toujours en dessin technique et n’a pas cessé de jammer régulièrement avec ses amis aux studios Madrigal. Il accumule les compositions originales depuis des décennies et a récemment renoué avec Robert Trépannier entre deux chansons.
Merci à Alex Taylor, Léo Roy, Marcel Lorange & Yvon Delisle pour leurs précieuses collaborations. Si d’autres membres des formations citées plus haut souhaitent précisier quelques détails ou contribuer d’autres photos / enregistrements, on les invite à nous écrire.
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