Le Nouvel Ensemble Folklorique du Québec – Reels psychadéliques Volumes 1 & 2 (Révolution; 1969)

PC070340

Tony_Roman_Moto
Tony Roman (1968).

Le Temps des Fêtes semble toujours propice pour raviver notre intérêt envers les breakdown, les set callés ainsi que les violonneux et autres musiciens traditionnels qui ont forgé notre identité musicale. Province de tous les reels, le Québec a publié sa part de chants folkloriques depuis le début du XXe siècle et à ce sujet, je ne saurais trop vous recommander une visite par le blogue Tradotronik réalisé par le spécialiste Marc Bolduc, aussi animateur de l’émission Tradosphère sur les ondes de CIBL 101,5 FM. Les amateurs du genre seront comblés! Avec les années 60, le genre trad aura tendance à se métisser d’avantage, incorporant notamment des éléments du rock dans son jeu, avec l’arrivée de nouveaux talents tels Philippe Gagnon ou Dominique Tremblay. Toujours prêt à relever un défi et à explorer de nouvelles tendances, le producteur/chanteur Tony Roman imaginera deux albums qui, à ce jour, demeurent parmi les plus singuliers de cette décennie. Rares et convoités, les collectionneurs les connaissent d’avantage par réputation; aujourd’hui, tendons l’oreille…

En 1968, la carrière de Roman est déjà bien établie. Ayant fait ses débuts 5 ans plus tôt, il avait déjà fait partie de 3 groupes (Tony Roman 4, Tony Roman 5, Les Dauphins), obtenu un succès fou en solo avec sa reprise de Do Wha Diddy (150 000 copies vendues!), découvert Nanette Workman, produit une foule d’artistes, fondé ses propres étiquettes de disques (Canusa et plus tard Révolution, A1, R&B, Majaro), animé une saison télévisée de Fleurs d’amour, Fleurs d’amitié… Ayant toujours un pied dans les palmarès et l’autre dans l’underground, l’imprévisible maverick pouvait parfois être critiqué pour ses choix douteux et son impulsivité, mais sa fougue demandait néanmoins le respect.
 
rpvolumes1&2
 
pag_lepage_shorter1
Michel Pagliaro, Denis Lepage & Andy Shorter (1969).

Suivant son association avec le producteur français Jean-Pierre Massiera avec lequel il « co-réaliserait » le cultissime long jeu Maledictus Sounds (rebaptisé plus tard Expérience 9 par Roman lui-même et réédité chez Mucho Gusto), on assiste à la publication d’une infâme trilogie d’albums expérimentaux, pour la plupart avec la candide mention Freak-Out Total au revers de la pochette. Du marketing pour les hippies! Pour cette série, Roman s’entoure d’amis musiciens chevronés tels le multi-instrumentiste Denis Lepage (The Stringers, The Persuaders), le batteur Andy Shorter et le guitariste Michel Pagliaro (Les Chanceliers). Il imagine d’enregistrer live, sans retouche, les résultats de quelques séances nocturnes d’improvisations, aussi expérimentales qu’approximatives. Rien que du vrai pis tout croche aussi.

 

Si l’album Ouba (réédité en 2001 chez GearFab) avait tout d’un long jam rock simplement scindé en deux faces, les Reels Psychadéliques offrent quelque chose d’un peu plus complexe, mais tout aussi lousse. Les deux volumes sont séquencés en divers reels où parfois plusieurs moments distincts se confondent dans une seule et même chanson. Clairement audibles sur la plupart des pièces, des spectateurs et/ou des musiciens additionnels appuient le jeu des comparses de Roman avec des bribes de conversations anodines et d’indispensables envolées au violon. On se demande d’ailleurs qui peut bien être ce violonneux invité… Un simple combinant des extraits des deux Volumes est parallèlement publié en décembre 1969 avec les pièces Le Reel du Pharmacien de Ste-Anne / La ballade de Rose & Alfie (intense et disjoncté). Contrairement aux albums qui sont avares de détails, ce rarissime 45 tours crédite les musiciens comme le Nouvel Ensemble Folklorique du Québec, un qualificatif plutôt audacieux pour le groupe de Roman. En comparaison avec Les Super Reels du Québec (album essentiellement trad publié sur Révolution), il faut quand même avouer que ce que on nous offrait maintenant, eh bien… c’était carrément dans une classe à part! Autre fait à noter: ce simple offre ce qui pourrait bien être le titre le plus court pressé en 45 tours au Québec. Le reel du pharmacien de Ste-Anne ne s’étire effectivement que sur un maigre… 35 secondes!

simplePubliés sur étiquette Révolution, l’ensemble est une suite logique à Ouba (pressé simultannément sur A1) avec plus de titres distincts et une saveur folklorique en prime. Deux volumes à considérer comme une seule et même oeuvre. Avant de savourer votre verre, soyez prévenus : y’a probablement quelque chose de pas catholique dans le lait d’poule… Prenons le Volume 1 (pochette blanche). D’entrée de jeu, le Reel de la grosse Jeanne ainsi que Reel pour Dédé offrent quelque chose de convenu sans être psychadélique (sic), rythmé sans plus. Lorsqu’une Ballade des bibittes à feu embrase l’atmosphère du studio, on comprend mieux l’objectif du groupe tentant d’atteindre cet équilibre précaire entre un rock lousse et tonitruant et le jeu du frénétique violonneux. Trop poli, le résultat aurait probablement été anodin; ici, l’ambiance live, les quelques cris et une improvisation investie aident à partager efficacement le trip. Quelques reels plus loin, La modiste de Bertha poursuit l’expérimentation et offre un premier freak-out total. Ça décoiffe cette histoire de chapelière!  On est plus près de la valse à vrai dire, mais après une introduction solonelle (orgue, violon, piano), on coupe sec pour mieux laisser la cacophonie s’installer! Quelques secondes de feedback plus tard, Le Reel du Saumon poursuit sur cette lancée rock avec un Roman criard et un lourd riff qui sera aussi recyclé ailleurs plus loin dans… La drave sur le second Volume. Le reel de l’oncle Fred est d’avantage ludique et fait efficacement le pont avec la dernière pièce de Volume 1, Le reel de Frontenac, qui s’aglomère à un passage entendu précédemment dans La modiste de Bertha. Pour un album aussi court (29m02s), avouez que c’est plutôt touffu tout ça!
 
 
Le Volume 2 (pochette noire) poursuit là où le premier Volume s’est arrêté et ne déstabilisera pas l’auditeur averti. Il y a moins de titres, mais l’album gagne en momentum, comme quoi on peut sembler plus focus tout en sonnant toujours aussi lousse… Avec son blues plus concis qui laisse néanmoins de l’air à Shorter et au jeu désaxé du violoniste, Du foin pour Ti-Guy ouvre efficacement le disque. On renoue ensuite avec quelques mesures de valse alors La chose à tôt fait de nous rappeller qu’on a toujours affaire à la gang de Ouba lorsqu’elle s’anime follement autour d’un scat primal (vers 2m00s) de 5 minutes! Ayoye! La nuit de noce s’insère idéalement ainsi après la démence, dévoilant un clavecin jusqu’alors inédit dans ces sessions d’enregistrement. L’approche est plus délicate avec ses clochettes et bien qu’une crécelle vienne par moments nous surprendre, on se plait à penser qu’on aura droit à un numéro de pop baroque… Plutôt, on déconstruit la mélodie, on improvise allègrement, on crée une toile sonore, on crie à s’en plaindre: rude nuitée pour nos musiciens! Un cadeau de Michel accentue l’aspect brouillon de la réalisation. On arrête le tape, on avance puis on reprend, on alterne entre moult segments pour terminer avec un dernier reel: décidément, nous sommes toujours en salle de montage avec le groupe! Tony semblait bien pressé de conclure le mix pour vous laisser deux albums-cadeau sous le sapin en décembre 1969…
 
 

PC110339Si quelques longs jeux populaires furent pressés sur étiquettes Révolution ou A1 (Nicole & Frédéric, La Révolution Française, Donald Seward, Christian & Gétro ), on y retrouve néanmoins bon nombre d’albums grivois et folkloriques (Ti-Poil la carotte, Eille! Ça c’est cochon, As-tu envoyé ton 2$? ). C’est bien connu : Roman n’avait pas froid aux yeux et l’idée de financer des projets plus risqués par la vente de disques fantaisistes semble logique. Le tirage apparemment limité de la série « Freak-Out Total » laisse toutefois quelques questions en suspens. Est-ce que le thème était jugé trop marginal pour générer plus de copies ou bien cherchait-on combler quelques lacunes budgétaires aux catalogues Révolution et A1? Un tel phénomène – qualifié de tax scam aux États-Unis- fut longtemps utilisés pour boucler les budgets. On réalisait des albums en vitesse, le plus souvent avec des pochettes génériques ou un design minimal, distribués -ou non!- avec peu de promotion. L’album faisait le plus souvent un bide, mais réussissait néanmoins à justifier certains frais opérationnels de la compagnie. Était-ce le cas ici? On jase, là… Ça pouvait être aussi tout simplement un beau risque : deux albums nés aussi rapidement qu’un jam impromptu… juste pour le fun. Il ne faudrait pas sur-analyser deux albums de «reels psychotroniques» après tout.

Récemment, Étienne soumettait cette intéressante théorie: Est-ce que le violonneux serais un membre de la famille Marineau que Tony a sortie sur Révolution RE 8001, juste avant Reel Psychadéliques RE 8002 et RE 8003 ? J’ai décidé de consulter un spécialiste du genre, Marc Bolduc,  animateur de Tradosphère sur les ondes de CIBL 101,5 FM et blogueur émérite sur Tradotronik. Voici ses conclusions: Le peu que je connaisse de la Famille Marineau, à part quelque prénoms, il me semble surprenant qu’ils aient pu faire partie d’un tel projet, mais: qui sait? Parmi les noms que j’ai pu retrouver (je n’ai pu identifier le paternel…) il y avait dans le groupe: Adrien, Aube-Alma (Obalma?),Gérald, Irène, Jeanne, René Marineau et Yvette Marineau et de Fernand Pellerin. Je serais surpris qu’il s’agisse des même, me semble que ça fitte pas, surtout que les Marineau étaient assez “folkloriques”, peut-être trop pour aller dans cette direction. Ceci dit, ce pourrait être des gens de la famille élargie… En espérant que cela puisse contribuer à tes recherches. On peut donc toujours spéculer… Merci messieurs!


Avec 1969, c’est un nouveau Tony Roman qui s’offrait médiatiquement. De son propre aveux, il délaissait les chanteurs populaires qui avaient fait beaucoup chez Canusa (Les Baronets, Patrick Zabé, Johnny Farago) pour se concentrer sur de nouveaux talents, plus rock ou marginaux (Georges Thurston, La Révolution Française, Les Hou-Lops, Madeleine Chartrand), tout en publiant ses nouvelles compositions toujours aussi hétéroclites. Il clamait avoir vaincu les démons de la drogue, mais était-ce bien le cas? Chose certaine, pour Noël 69, il était allumé et généreux, publiait notamment l’album Le Réveillon de la Famille Canusa et s’offrait même une mini-campagne publicitaire en placardant ses voeux à quelques pas de ceux de… John & Yoko. Sacré Tony! Finalement… je goûterai bien à son lait d’poule! Bonne écoute & Joyeuses Fêtes!

 
La marde ça pue, mais la guerre encore plus!  Roman pastiche Lennon pour vous offrir ses meilleurs voeux des Fêtes en 1969 (Photo Vedettes, janvier 1970).
La marde ça pue, mais la guerre encore plus! Roman pastiche Lennon pour vous offrir ses meilleurs voeux des Fêtes en 1969 (Photo Vedettes, janvier 1970).

Comments

Leave a Reply